[English version below]
Rachel, Alliance Coordinator
J’ai des difficultés à dormir d’ordinaire, alors évidemment en ces temps extraordinaires mes problèmes de sommeil ne sont pas allés en s’améliorant. Samedi 21 mars, je me suis réveillée vers 3 heures du matin, l’heure préférée de mon insomnie. Comme d’habitude j’ai attrapé mon téléphone - qui lui ne dort jamais. L’écran affichait un message de mon père envoyé quelques minutes plus tôt : « On s’appelle dès demain matin, tôt pour toi. La situation s’accélère. Même maintenant si tu peux ! Bises. Dad ». Evidemment j’ai pris peur, j’ai pensé qu’il s’était passé quelque chose à la maison, je voyais déjà ma mère en insuffisance respiratoire errant dans un couloir blanc-cassé, à la recherche d’un lit qui pourrait l’accueillir. La seconde suivante j’appelais mon père.
Il allait très bien, maman aussi. Seulement il avait vu aux informations que les aéroports étaient en train de fermer en Inde. Il était en plein délire de persécution : en tant qu’occidentale, en tant que « blanche », j’allais être la cible d’indiens en furie qui voudraient m’étrangler, par désespoir, par peur, par rejet. J’allais être coincée dans un pays qui n’aurait pas les moyens de me soigner si cela était nécessaire. J’allais être confrontée à une situation atroce, où dans les bidonvilles, il y aurait des centaines de malades, et puis des gens qui n’auraient plus accès à l’eau potable, à la nourriture, qui allaient devenir fous !
Il me demandait de l’appeler alors que c’était le milieu de la nuit pour me dire ça ??? J’ai été ferme. Bien sûr, pas question de rentrer. Ce serait insensé à tous niveaux : au niveau sanitaire global puisque la consigne est de rester confiné ; au niveau personnel, puisque ce satané virus je risquais 10 fois plus de l’attraper en courant après un avion ; mais surtout ce serait insensé moralement : fuir maintenant une mission, mes collègues/amies, et surtout les Jeunes alors même qu’il nous fallait avancer, plus que jamais, d’un seul et même pas ?
Et puis quoi ? Je n’étais vraiment pas mal en point en Inde. Il est certain que la côte de popularité de la couleur blanche est en baisse ces derniers temps mais on continue à entretenir de bonnes relations avec nos voisins et à rigoler avec le marchand de légumes. La seule différence à présent c’est qu’on essaie plus de marchander quoi que ce soit - ce serait vraiment indécent… Et puis un Centre avec un Rooftop sur lequel pouvoir faire les 100 pas lorsque le cerveau surchauffe, ce n’est pas un endroit si mauvais pour rester confiné. Comme dirait ma tante, qui, si elle se trouve physiquement dans son studio du 16eme à Paris, en réalité vit sur une autre planète : « Il n’y a rien de plus smart que ce confinement en Inde ».
Bref pour en revenir à mon père, j’ai conclu sèchement « maintenant j’aimerai aller dormir. On se parle demain. »
Je les comprends mes parents. Et les vôtres aussi sans doute. Ils n’ont jamais eu aussi peur pour nous. C’est bien le signe de la parenté, d’être soucieux : chaque seconde dans sa chair se sentir inquiet pour cet autre être qu’on appelle son enfant. Mais alors en ce moment, c’est du souci ++ qu’ils se font, ça leur donne la migraine. Le lendemain ma mère m’envoyait un article d’une auteure italienne parue dans Libération, en me disant qu’elle n’avait pu rester insensible à une phrase en particulier, « Vous manqueront comme jamais vos enfants adultes, et vous recevrez comme un coup de poing dans l’estomac la pensée que, pour la première fois depuis qu’ils ont quitté la maison, vous n’avez aucune idée de quand vous les reverrez. ».
Evidemment.
C’est alors que ça m’a sauté aux yeux : j’étais adulte ! En réalité je l’étais peut-être depuis longtemps mais c’était la première fois que j’en prenais pleinement conscience. La preuve en était là, devant moi : j’avais des responsabilités à prendre et ces responsabilités je les connaissais mieux que mon propre père.
Le lendemain j’ai fait un appel vidéo avec mes parents. Ca nous a fait beaucoup de bien à tous les trois. Avec tout le travail que j’ai en ce moment, j’ai du mal à dégager du temps pour échanger avec mes proches. On s’est parlé calmement, mon père était sorti de la crise. J’ai repris tout ce que j’avais abordé avec lui la veille, je leur ai exposé les faits et aussi les actions que l’on parvenait à mettre en place pour les Jeunes. Et surtout l’importance que revêtait aujourd’hui notre présence auprès d’eux. Ça les a rassuré de me voir assurée, au clair avec moi-même et avec ce que j’avais à faire. Ma mère m’a envoyé un message après coup « Mon trésor merci mille fois pour cette conversation tout à l’heure, j’étais très émue et impressionnée par ta sagesse, la justesse de tes propos et ta douceur… je suis si fière de toi et tu me fais tant de bien ! Je t’aime tant… ». J’ai pleuré en lisant son message, mes premières larmes depuis longtemps. J’étais peut-être adulte mais je n’avais jamais eu autant envie de me blottir dans ses bras.
C’est normal qu’on craque, qu’on ait peur, c’est normal qu’on s’inquiète pour nos proches, et qu’ils s’inquiètent pour nous. Mais finalement, il faut simplement qu’on continue à se dresser sur nos deux pieds, c’est encore le meilleur moyen de ne pas tomber !
Le jeudi suivant je recevais un autre message de mon père – mon père qui utilise tellement de petits noms affectueux en ce moment, il m’appelle « ma chérie », « ma princesse », ça me fait sourire, ce n’est vraiment pas son genre d’habitude :
« Bonjour ma chérie,
Difficile en ce moment de savoir ce que je ressens, entre tourments, inquiétude et confiance en la vie. Je n’aurais su imaginer il y a encore quelques semaines vivre une telle situation. Comme un film mais c’est la réalité qui nous laisse incrédules. Et comment imaginer la façon dont nous individuellement et collectivement sortir d’un tel scénario. Si tu l’avais écris et me l’avais soumis, je t’aurais certainement mis en garde contre ses invraisemblances ! Pour répondre plus simplement, je crois que je vais bien et je m’efforce de rester dans cet état. Je t’embrasse et je t’aime »
Alors à tous je voudrais vous laisser le même conseil que mon papa, parce qu’en fin de compte, une fois sorti de la psychose, et les émotions décantées, on observe que oui on va bien et que la seule chose à faire c’est de s’efforcer de rester dans cet état. Et d’aider au maximum ceux qui nous entourent à faire de même.
Laissez-les simplement vous dire qu’ils vous aiment, car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’amour, corona ou pas corona !
Ordinarily I have some trouble sleeping, then, of course, in these extraordinary times my sleep disorders didn’t get any better. On Saturday the 21st of march, I woke up around 3am, my insomnia’s favorite hour. As usual I grabbed my phone - which never sleeps. The screen displayed a message from my father sent a few minutes earlier : “We call each other first thing in the morning tomorrow, early for you. The situation is escalating. Even now if you can! Kisses. Dad.” Obviously I got scared, I thought something had happened at home, I could already see my mother in respiratory failure wandering through an off-white corridor, looking for a bed that could accommodate her.
He was doing well, and so was my mom. But he had seen in the news that airports were closing in India. He was in the midst of a delirium : as a Westerner, as a "white person", I was going to be the target of furious Indians who wanted to strangle me, out of desperation, out of fear, out of rejection. I was going to be stuck in a country that couldn't afford to treat me if it was necessary. I was going to be faced with an atrocious situation, where in the slums there would be hundreds of sick people, and then people who would no longer have access to clean water, to food, who would go mad!
He was asking me to call him in the middle of the night to tell me that ??? I’ve been firm. Of course, no way I’ll come back. It would make no sense at all : first at a global sanitary level, since the instruction is to remain confined; on a personal level, since I am more likely to catch the damn virus by running after a plane; but, above all, it would be morally senseless : running away now from my mission, my colleagues/friends, and especially the Youths, when we had to move forward, more than ever, in one and the same step?
And then what? I wasn’t in bad shape in India. No doubt that the popularity rating of the white color is decreasing lately but we still have good relations with our neighbors and laugh with the vegetables’ grocer. The only difference now is we don’t bargain anymore - it would be indecent… And a center with a rooftop on which we can pace when the brain overheats, it’s not such a bad place to stay in containment. As would say my aunt, who, if she stands physically in her apartment in the 16th arrondissement of Paris, actually lives on another planet : “There is nothing as “smart” as this containment in India. “
To come back to my father, I crisply concluded “now, I would like to go to bed. We’ll talk tomorrow.”
I understand my parents. And I'm sure yours do, too. They never have been so worried for us. It's a sign of kinship,to be concerned : every second in your flesh to feel worried for this other being called your child. So, at this time, this is a huge concern they’re living with, which causes them headaches.
The next day, my mom was sending me an article, by an italian author, published in Libération, saying to me she couldn't remain indifferent especially to one sentence, ‘Will be missed as never your grown-up children, and you’ll receive as a punch in your stomach the thought that, for the first time since they left home, you don’t have any idea when you’ll see them again.”
Naturally.
That’s when it jumped out at me : I was an adult! In reality maybe I was for a longer time but it was the first time I became fully aware of it. The proof was here, in front of me : I had some responsibilities to take and I knew these responsibilities better than my dad.
The following day we had a video call with my parents. It benefited a lot of the three of us. With all the work I have at the moment, I struggle to free some time to connect with my relatives. We talked to each other peacefully, my father was out of his crisis. I took up everything I had discussed with him the day before, I explained to them the facts and also the actions that we were able to put in place for Youths. I exposed the facts to them and also the actions we were establishing for the Youths. And most of all, the importance of being near them. It reassured them to see me reassured, clear with myself and what I had to do. My mother sent me a message afterward, “my sweetheart thank you about a thousand times for this conversation, I was very touched and impressed by your wisdom, the pertinence of your words and your gentleness… I am so proud of you and you make me feel so good! I love you so much…”. I cried reading her message, my first tears since in a long time. Maybe I was an adult but I had never desired so much to snuggle into her arms.
It's normal to break down, we feel scared, we are worried for our loved ones, and they worry for us. But finally, it needs to continue to stand up on our both feet, it is still the best way to not fall down!
The next thursday I received another message from my father - my father who uses so many affectionate nicknames currently, he calls me “my darling”, “my princess”, it makes me smile, it’s not really his type usually :
“Hello my darling,
Hard to know at the moment how I fell, between torments, concerns and faith in life.I couldn't have imagined just a few weeks ago that I would be in such a situation. It's like a film, but it's the reality that leaves us incredulous. And how to imagine the way we can individually and collectively go out of this scenario. If you had written it and have given it to me, I would have certainly told you about his implausibilities! To answer in an easier way, I think I’m feeling good and I’m trying to stay in this state. I kiss you and I love you. “
So to all of you I would like to leave you the same advice as my dad, because in the end, once out of the psychosis, and the emotions have settled down, we observe that yes we are fine and that the only thing to do is to try to stay in this state. And to help as much as possible those around us to do the same.
Just let them tell you that they love you, because that's what it's all about, love, corona or no corona!
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